Dessalines, Inamovible
- Edito 24
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Haiti cadavres, Haiti détresse. Dans ces décors d’Armageddon sans résistance aucune, Il y a des silences qui honorent, et des prises de parole qui trahissent; comme aujourd’hui cette sortie de Pierre Josué Agénor Cadet.
Lorsque, dans le tumulte actuel que traverse Haïti, un ancien ministre de l’Éducation nationale, dont le long passage au pouvoir n’a laissé ni réforme structurante ni héritage intellectuel durable, choisit de s’attaquer à Jean-Jacques Dessalines, il ne s’agit ni d’un hasard ni d’un débat innocent. C’est un acte politique lourd de sens, révélateur d’une dérive inquiétante de certaines élites haïtiennes : le révisionnisme destructeur.
Parler ainsi de Dessalines, c’est ignorer, ou feindre d’ignorer, ce qu’il représente dans l’histoire universelle. Dessalines n’est pas un théoricien de salon. Il n’est pas un idéologue confortablement installé dans les bibliothèques eurocentristes. Il est un génie sorti de l’esclavage, forgé dans la violence du système le plus déshumanisant que l’humanité ait connu, et qui, contre toute attente historique, a réussi à poser les bases d’une nation noire libre dans un monde qui n’en voulait pas.
On peut tout reprocher à Dessalines, sauf l’absence de vision ou de doctrine. Dès 1804, il comprend que l’indépendance ne peut être seulement juridique ou militaire. Elle doit être morale, symbolique et politique. Il fallait créer un peuple là où il n’y avait qu’une masse d’anciens esclaves dépossédés de tout : langue, terre, dignité, mémoire.
C’est précisément ce que l’Empereur a tenté de faire : en affirmant la rupture radicale avec l’ordre colonial, en posant la souveraineté noire comme principe non négociable, en faisant de la liberté un droit collectif, et non une faveur concédée.
Dire aujourd’hui que Dessalines n’aurait été qu’un idéal, c’est juger le XVIIIᵉ siècle avec les lunettes confortables du XXIᵉ, sans jamais avoir eu à affronter les mêmes périls.
La Déclaration de 1804 est l’acte fondateur du dessalinisme. La Déclaration d’indépendance du 1er janvier 1804 n’est pas un simple document historique. Suite logique de l’unité de commandement imposée par le général en chef, elle est l’énoncé même du dessalinisme que des éléments, de tribus perdues, cherchent aujourd’hui à questionner. Il comporte des éléments sociaux, égalitaristes et anticolonialistes qui ont peut-être inspiré le socialisme utopique ou libertaire de Saint-Simon, Fourier et plus tard Marx : Le but du gouvernement doit être : l’amélioration du sort des plus pauvres. On y trouve dans son contexte particulier : la centralité de la liberté de l’homme noir, la méfiance lucide envers les puissances esclavagistes, la volonté farouche de ne jamais redevenir un peuple dominé, le choix stratégique de la terre brûlée, l’affirmation d’une dignité collective forgée dans la lutte.
Ce discours n’est ni haineux ni archaïque : il est existentiel. Il répond à une question simple et brutale : comment survivre en tant que peuple noir libre dans un monde qui refuse votre humanité ? (Et c’est encore d’actualité).
Ceux qui veulent aujourd’hui vider cette période de sa substance veulent, consciemment ou non, vider la nation haïtienne de son socle idéologique. Le révisionnisme des élites d’aujourd’hui est une entreprise de démolition en vue de plaire au monde. Ce qui frappe, ce n’est pas la critique, car toute figure historique peut et doit être interrogée, mais la constance de l’attaque, toujours dirigée vers le même symbole.
Hier, le très respecté Michel Soukar, dans un glissement pour le moins troublant, aurait qualifié l’Empereur Dessalines de spoliateur. Ensuite, le loquace Edzer Émile, au nom d’un pragmatisme flou et importé, s’est attaqué à l’âme même du peuple haïtien, comme si l’idéal était devenu un luxe inutile.
Aujourd’hui, c’est un ancien ministre, repu de privilèges d’État, qui surgit pour “réviser” ce qu’il appelle le Dessalinisme, comme si l’urgence nationale se situait là.
Cette démarche n’est pas neutre. Elle participe à une désacralisation systématique de ce qui fonde Haïti : ses héros, ses symboles, ses drapeaux, sa mémoire, son récit de résistance. Un peuple sans repères historiques est un peuple malléable, facilement gouvernable, facilement résigné.
La véritable question que ces intellectuels évitent soigneusement est la suivante : si Dessalines est le problème, pourquoi ceux qui l’ont renié n’ont-ils rien bâti de solide à sa place ?
L’ancien ministre de l’Éducation nationale aurait pu parler : de l’effondrement de l’école haïtienne qui a atteint son apogée en son temps ; de l’usine qui a produit Plip Plip, de l’aliénation culturelle persistante ; de l’incapacité de l’État à produire un projet national mobilisateur.
Mais non. Plus simple, plus confortable : s’attaquer à un homme au tombeau qui ne peut répondre, pendant que les vivants continuent d’échouer.
Jean-Jacques Dessalines n’a jamais prétendu être un théoricien. Il a prétendu être un libérateur. Et il l’a été. Son idéal n’était pas la perfection intellectuelle, mais la survie politique et la dignité d’un peuple dans un monde esclavagiste.
Ceux qui veulent aujourd’hui le traîner dans la boue ne proposent aucun idéal alternatif crédible. Ils déconstruisent sans consentir l’effort de reconstruire. Ils critiquent sans assumer. Ils parlent de pragmatisme, mais vivent d’un confort rendu possible par le sacrifice de ceux qu’ils méprisent.
Dessalines demeure, non parce qu’il est intouchable, mais parce qu’il est indépassable tant que la question de la souveraineté, de la dignité et de l’identité haïtienne reste irrésolue. Et tant que Haïti cherchera à être une nation debout, elle devra, qu’on le veuille ou non, regarder vers Dessalines, non pour le salir, mais pour comprendre ce qu’il a osé faire là où tant d’autres ne font que parler.
Hérold Israel, MBA







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