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14 ans après la marche sur Hinche

Economie-Agriculture: Les stations de la misère. Série d’articles de rappel et d’analyse des politiques agricoles et économiques d’Haiti face à la grande misère d'aujourd’hui.



Le 4 juin 2010, 20,000 paysans haïtiens ont défilé à Hinche, au Centre du pays, pour protester contre un don de 475 tonnes de semences hybrides et de légumes offert au gouvernement haïtien par la multinationale américaine Monsanto. Cette marche a débuté dans la localité de Papaye, au nord de Hinche. Cette réaction à un don gratuit traduit la méfiance des haitiens par rapport au reste du monde. France 24, dans son reportage, parle d'un cadeau empoisonné. A part les dirigeants, les haitiens n'ont jamais cru en l'aide étrangère. Et après plus de 50 ans que le pays en reçoive à profusion, le seul bilan à faire serait celui de la continuité logique vers une descente aux enfers.


Les manifestants, dirigés par des leaders paysans, dont Filfranc Saint-Naré, avaient exprimé leur rejet de l'introduction des semences Monsanto en Haïti, en lien avec le projet Wiener financé par le gouvernement des États-Unis. Saint-Naré avait révélé que 75 des 475 tonnes de semences promises étaient déjà arrivées dans le pays. Les protestataires avaient exigé que le gouvernement refuse le reste du don et ont appelé les paysans à incinérer les semences déjà distribuées. Lors de la manifestation, les leaders des mouvements paysans ont symboliquement brûlé une partie des semences sur la place Charlemagne Péralte


La méfiance concerne les conditions mystérieuses de la mort lente de nos caféiers, de nos cacaoyers, de nos cocotiers et, plus récemment, Youri Latortue, un ancien sénateur, a nommément cité un pays voisin qui aurait envoyé un hélicoptère pour fumiger les plantations haïtiennes. Bill Clinton, un ancien président américain, très présent de jour comme de nuit en Haïti, a laissé échapper des larmes de crocodile concernant son rôle dans la destruction de la culture du riz dans l'Artibonite.


La situation de la sécurité alimentaire en Haïti a atteint des niveaux alarmants au fil des années. En 2010, alors que le pays se relevait à peine du tremblement de terre dévastateur, des voix s’élevaient déjà pour dénoncer les politiques gouvernementales et l'influence étrangère croissante qui menaçaient de plus en plus l’agriculture paysanne. À l'époque, les organisations paysannes, menées par des leaders comme Chavannes Jean-Baptiste du Mouvement Paysan Papaye (MPP), appelaient à une reconstruction agricole radicale afin de restaurer la souveraineté alimentaire du pays. Aujourd'hui, en 2024, ces mêmes préoccupations résonnent avec une urgence renouvelée, alors que la situation s'est encore détériorée.


Le nouveau ministre de l'Agriculture s'est installé dans un silence encore plus inquiétant; depuis son installation. On ne sait rien de ce qui se dit ou se fait au niveau de cet important ministère alors que la famine fait rage au pays.


Les paysans qui avaient défilé de Papaye à Hinche, ce jour-là, ont brulé symboliquement des sacs de semences hybrides offertes par Monsanto. Leur message était clair : refuser l'asservissement des paysans à des multinationales et défendre l'agriculture locale. À l'époque, le gouvernement haïtien, avec l'aide des bailleurs de fonds internationaux, avait lancé un programme d'assistance d'urgence de 687 millions de dollars pour la production alimentaire. Ce programme avait pour objectif d'intégrer les migrants ruraux, d'augmenter les opportunités d'emploi et d'établir une sécurité alimentaire durable. Cependant, ces objectifs louables étaient minés par une approche néolibérale qui continuait de fragiliser l'agriculture paysanne au lieu de la renforcer.


Quatorze ans plus tard, le constat est accablant. L'agriculture haïtienne, loin de s’être relevée, a continué de s’effondrer sous le poids de politiques qui favorisent la dépendance aux importations et aux semences étrangères, tout en négligeant les besoins et les savoir-faire des agriculteurs locaux. Cette dépendance accrue a non seulement affaibli la souveraineté alimentaire du pays, mais a aussi exacerbé l'insécurité alimentaire pour des millions de Haïtiens.


Aujourd'hui, alors que le pays fait face à des défis encore plus grands, il est crucial de réexaminer les politiques agricoles et de reconnaître les erreurs du passé. Les organisations paysannes avaient raison en 2010 : la reconstruction d'une agriculture durable en Haïti nécessite une rupture avec les politiques néolibérales qui ont détruit les moyens de subsistance des petits agriculteurs. Le chemin vers une véritable sécurité alimentaire passe par un soutien inconditionnel à l'agriculture paysanne, la protection des semences locales, et la promotion de pratiques agricoles qui respectent l'environnement et les communautés locales.


En 2010, des paysans brûlaient des semences hybrides pour protester contre l'ingérence étrangère. En 2024, l’urgence est de brûler définitivement les politiques qui ont rendu ces gestes nécessaires et de raviver l'espoir d'une agriculture autonome et prospère. L'avenir d'Haïti dépend de notre capacité à apprendre des erreurs du passé et à reconstruire un système alimentaire qui serve les intérêts du peuple haïtien, plutôt que ceux des multinationales.


Edito24

Dimanche 11 Aout 2024

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