Haïti : Le Marché Noir et la Normalisation de l’Abus
- Edito 24
- Jun 12
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Par-delà les barricades, les fusils d’assaut, et l’odeur rance de la peur, une autre violence plus subtile, mais tout aussi destructrice, ronge les fondations de la société haïtienne : le marché noir généralisé, institutionnalisé, et banalisé dans tous les secteurs de la vie nationale. De l’alimentation aux médicaments, de l’immobilier à l’éducation, des transports à l’emploi, le peuple haïtien vit au rythme d’un système informel où la loi du plus fort est devenue norme, et où l’exploitation de l’autre est considérée comme une réussite.
Ce n’est pas simplement l’absence de l’État qui ouvre la voie à ces pratiques, mais plutôt un esprit profondément enraciné d’exploitation d’une classe par une autre, une logique coloniale qui, malgré l’Indépendance, n’a jamais été éradiquée. L’élite commerçante, les acteurs politiques corrompus, les entreprises sans scrupules, les racketteurs en uniforme ou en complet-cravate : tous participent à ce vaste marché noir où tout se vend, tout s’achète, et tout s'arrache, au détriment des plus vulnérables.
🛫 Les “Gangs Célestes” :
C’est dans ce contexte d’abus systémique que s’élève la voix du militant nationaliste Bilolo Congo, qui a récemment dénoncé l’escroquerie morale et économique des compagnies aériennes nationales. Dans un cri d’indignation devenu viral sur les réseaux sociaux, il compare les pratiques tarifaires des compagnies locales à celles des gangs armés qui rançonnent les routes nationales.
“Comment justifier,” s’interroge-t-il, “qu’un vol de 20 à 30 minutes entre Port-au-Prince et Cap-Haïtien coûte 478 dollars, alors qu’un vol international de plus de 4 heures entre New York et Cap-Haïtien via JetBlue coûte 176 dollars ?”
Il n’hésite pas à qualifier ces entreprises de “gangs célestes”, une analogie puissante à ces bandes armées qui terrorisent les voyageurs terrestres.
La dénonciation de Bilolo Congo ne parle pas seulement de billets d’avion. Elle met à nu une culture d’abus, de racket légitimé par les crises, où chaque acteur économique, petit ou grand, cherche à "se refaire" sur le dos des autres.
Dans cette réalité, la violence des opprimés ne jaillit pas de nulle part. Elle est le fruit de décennies de frustrations, de mépris, de trahisons économiques et sociales. Le phénomène des gangs, bien qu’inacceptable, ne peut être analysé sans comprendre le terreau de misère, d’humiliation et d’injustices sur lequel il a germé.
Ces jeunes armés qui terrorisent la capitale sont, dans bien des cas, les enfants d’un peuple trahi par toutes ses élites. Ils sont le miroir brisé d’une société qui a appris à ne respecter que la force, la ruse, ou l’argent; jamais le droit, la solidarité ou la dignité humaine.
En Haïti, des élites prédatrices continuent de prospérer grâce au monopole et à la capture de l’État. Ces groupes, souvent liés par le sang, les affaires ou la politique, ne jurent que par le contrôle exclusif des ressources publiques, des marchés stratégiques et des postes clés de l’administration. Ils ont fait de l’appareil d’État un instrument privé, un levier de pouvoir destiné à servir leurs intérêts personnels, au détriment du bien commun.
Cette logique mafieuse bloque toute possibilité de développement inclusif, alimente la corruption, et condamne une majorité de citoyens à la misère, à l’exil ou à la révolte.
On peut savourer toutes les prophéties, Mais tant que ces élites verront l’État non pas comme un bien collectif, mais comme un butin à partager entre clans, Haïti restera prise en otage.
Si on veut sortir du gouffre, il ne suffit pas de désarmer les gangs visibles. Il faut aussi s’attaquer aux “gangs invisibles” : ceux qui pillent, exploitent, et abusent dans la légalité apparente du marché.
Il faut créer un nouveau contrat social fondé sur la justice économique, la transparence, et le respect des plus faibles.
Sinon, comme le rappelle douloureusement l’histoire, les opprimés continueront à se révolter — férocement, désespérément, parfois aveuglément — contre un système qui ne leur a jamais laissé d’autre choix.
Herold Israel
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