La situation en Haïti devient de plus en plus critique, avec une justice pratiquement paralysée par la montée en puissance des gangs. Un article de Le Monde dépeint un tableau sombre de l’état du système judiciaire dans la capitale, Port-au-Prince, en profitant, de manière intéressée, à constater la disparition de l'Etat d'Haiti.
Ce dysfonctionnement, symbolisé par la réinstallation du tribunal de grande instance de Port-au-Prince dans les locaux du tribunal du travail, soulève des questions profondes sur l’avenir de la justice dans le pays.
Depuis juin 2022, lorsque le palais de justice du Bicentenaire a été pillé par des gangs armés, les magistrats haïtiens sont pratiquement en exil, incapables de travailler dans des conditions sécuritaires. Ce déracinement physique des institutions judiciaires est symptomatique de l’effondrement plus vaste de l'État en Haïti, qui se fait parallèlement avec la présence active de la Communauté Internationale depuis une trentaine d’années dans ce pays. Avec 80 % de la ville sous le contrôle des gangs, la justice semble avoir abdiqué, laissant place à un vide où l’impunité règne en maître.
À la racine de cette crise, on trouve un mélange toxique d’ingérance étrangère, de pauvreté, de corruption, et d’un État faible qui, au fil des décennies, n'a pas réussi à se réformer ni à fournir les services de base à sa population. La question n'est pas seulement celle de la sécurité, mais aussi celle de la légitimité de l'État haïtien, mis à mal par des forces obscures et connues. Lorsque les citoyens ne peuvent plus compter sur les institutions pour les protéger ou pour rendre la justice, ils se tournent soit vers l’anarchie, soit vers des solutions extrajudiciaires. Et c’est à ce carrefour qu’on a toujours voulu conduire Haiti.
Les gangs, en tant qu'entités quasi-politiques, remplissent ce vide, offrant une forme d'ordre, aussi cruelle soit-elle, dans des zones où l'État est absent. Ils prospèrent sur la misère et la peur, exploitant la population et se substituant parfois à l'État pour fournir certains services. Ce phénomène n'est pas nouveau en Haïti, mais l’ampleur qu'il a prise ces dernières années est sans précédent. Ils sont armées jusqu’aux dents et supportés par des missions onusiennes qui les ont fédérés en gardant parallèlement un embargo sur l’armée et la police.
Une Responsabilité Partagée
Il est facile de pointer du doigt les gangs comme étant la cause de tous les maux, mais cela serait une simplification dangereuse. Les gouvernements successifs en Haïti, ainsi que la communauté internationale, portent une part de responsabilité dans cette situation. Les politiques de sécurité inefficaces, la corruption rampante, et l'absence de réformes économiques structurelles ont tous contribué à l'affaiblissement de l'État haïtien.
De plus, la communauté internationale, malgré ses interventions répétées, n'a pas réussi à mettre en place des mécanismes durables pour renforcer la justice et la sécurité en Haïti. Les interventions militaires et les missions de paix se sont souvent concentrées sur les symptômes immédiats de la violence, sans aborder les causes profondes de l'instabilité. Cette approche à court terme a laissé le pays vulnérable aux crises récurrentes.
Pour que la justice en Haïti retrouve sa place, il faudra bien plus que des mesures sécuritaires. La reconstruction de la confiance dans les institutions publiques est essentielle. Cela passe par une réforme en profondeur de la justice, mais aussi par des investissements dans les infrastructures et les services publics pour montrer aux citoyens que l'État peut répondre à leurs besoins.
En outre, la lutte contre les gangs ne peut être menée avec succès sans une approche holistique qui inclut des programmes de réinsertion sociale pour les jeunes, des efforts de réduction de la pauvreté, et une stratégie de lutte contre la corruption à tous les niveaux de l'État. Les solutions purement répressives risquent de renforcer le cycle de violence plutôt que de le briser.
La situation en Haïti est un test décisif pour l'État de droit dans le pays. La justice, en tant que pilier central de toute société, doit être réhabilitée pour que la population puisse retrouver confiance en l'État. Mais cela nécessite une volonté politique claire et des efforts coordonnés, tant au niveau national qu'international, pour s'attaquer aux causes profondes de l’instabilité. Sans cela, Haïti continuera à sombrer dans le chaos, au grand désespoir de ses citoyens qui n’aspirent qu’à la paix et à la justice.
Edito 24
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